Raphaël Gastebois fait partie des 250 Architectes des bâtiments de France (ABF). En poste à La Réunion depuis janvier 2013, il est le quatrième ABF à s’installer sur l’île. A ce titre, il s’occupe de conservation du patrimoine et veille à ce que les projets architecturaux s’intègrent harmonieusement avec le milieu environnant. Ce Normand revendiqué apporte avec lui sa jeunesse et son enthousiasme. Rencontre avec un architecte fonctionnaire sans langue de bois. Et bavard !

Raphaël Gastebois devant la fontaine qu’il a faite rénover au siège du service territorial de l'architecture et du patrimoine à Saint-Denis
Raphaël Gastebois devant la fontaine qu’il a faite rénover au siège du service territorial de l’architecture et du patrimoine à Saint-Denis

Quand on vient voir l’ABF, l’architecte qui s’occupe notamment du patrimoine, on s’attend à voir quelqu’un de plutôt âgé, limite poussiéreux, pas un jeunot…
Jeune… pas tant que ça ! Ça fait quand même dix ans que je suis dans la maison… mais le mythe de l’ABF poussiéreux c’est un cliché. D’ailleurs, le premier ABF à La Réunion était encore plus jeune que moi!

En général, quand on est môme, on rêve d’être pompier, aviateur, cosmonaute, rarement ABF, pas vous?
Je vous rassure, je n’ai pas rêvé de faire ça quand j’étais petit mais par contre j’ai toujours été intéressé par les monuments historiques. J’ai grandi à l’ombre d’une cathédrale, la cathédrale de Coutances en Normandie, et ça ne m’a pas laissé indemne. D’ailleurs j’ai été guide conférencier en pays d’art et d’histoire dans la Manche. Un très beau département. Vous connaissez ?

Oui, ma femme est de la Manche…
Forcément, les Normands sont partout ! Un peu comme les Bretons. La seule différence, c’est qu’avec les Bretons, on le sait tout de suite…

Pour vous, tout a commencé quand…
Quand je suis tombé sur une annonce du Ministère de la Culture qui recherchait des contractuels dans les services départementaux de l’architecture et du patrimoine. En fait, il s’agissait d’être adjoint de l’ABF; on nous proposait des contrats d’un an et moi ça m’arrangeait bien parce que je n’avais pas envie de m’engager à vie. En plus, c’était dans la Manche, à Saint-Lô, dans mon département natal. J’étais jeune diplômé en architecture et je venais de passer deux ans à l’école de Chaillot pour me spécialiser dans l’architecture du patrimoine. Dans le contrat, il y avait aussi l’obligation de tenter le concours d’architecte et urbaniste de l’Etat.

Et vous l’avez eu…
Exactement, et j’y suis encore.

Mais l’architecture, c’est venu comment ?
J’ai voulu faire des études d’architecture pour m’ouvrir au monde. Ce sont des études où on commence d’abord par se laver le cerveau. On se débarrasse de beaucoup de préjugés dans le domaine de l’art. Ces études m’ont donné une vraie ouverture d’esprit. Ce sont des études où on touche à tout. On est très polyvalent. C’est la force et à la fois la faiblesse de l’architecte: on goûte à plein de choses mais en fait, on est spécialiste de rien…

Et vous débutez votre carrière en vous occupant de l’un des sites les plus connus au monde…
Je m’occupais du village de Mont Saint-Michel ! Pour un Normand, c’est presque déjà la consécration. Je donnais mon avis sur les projets de restauration du village médiéval, les mises aux normes des commerces, sur la sécurité incendie de l’abbaye. J’expérimentais déjà la difficile équation à laquelle l’ABF est constamment confronté : comment concilier l’activité économique avec le respect du patrimoine.

Et c’est antinomique ?
Non, parce que l’un nourrit l’autre. Et puis c’est toujours une question d’équilibre. Il ne faut pas être borné et savoir faire des concessions. On ne vit pas dans le passé. Pour qu’il reste vivant, le patrimoine a besoin d’être inscrit dans l’avenir.

Raphaël Gastebois devant la façade de la Maison Déramond: «Je ne suis pas là pour imposer une esthétique. Il y a le travail de l’architecte qu’il faut respecter»
Raphaël Gastebois devant la façade de la Maison Déramond: «Je ne suis pas là pour imposer une esthétique. Il y a le travail de l’architecte qu’il faut respecter»

A La Réunion, vous cumulez les deux postes d’architecte des bâtiments de France et de conservateur régional des monuments historiques, ce n’est pas trop pour un seul homme ?
Les conservateurs et les ABF peuvent avoir quelquefois des difficultés à travailler ensemble. L’avantage, c’est que je n’ai pas de difficultés à travailler avec moi-même.

La conservation du patrimoine, c’est une rude tâche dans une île où longtemps on ne s’en est guère soucié…
Je prends comme une chance et un beau challenge que d’arriver dans ce territoire où il y a encore beaucoup à faire en terme de conservation du patrimoine.

Vous arrive-t-il souvent de mettre un veto aux projets architecturaux qui vous sont soumis chaque semaine ?
Non. Je trouve d’ailleurs remarquable la façon dont ça se passe ici. Il y a une vraie qualité de relations humaines en particulier pour les projets. Tous les mercredis je reçois les porteurs de projets. Si jamais on n’est pas d’accord, les projets sont tout de suite retravaillés en conséquence. C’est rare qu’on arrive au clash.

L’une de vos missions est la promotion d’un urbanisme et d’une architecture de qualité, c’est quoi une architecture de qualité?
C’est une architecture qui s’intéresse en priorité à la vie quotidienne des habitants… Et ça marche aussi pour l’urbanisme. Les grandes ambitions urbaines d’aujourd’hui, ce ne sont pas les projets pharaoniques mais plutôt ceux qui répondent aux préoccupations quotidiennes des gens, qui répondent à ce genre de questions fondamentales: comment faire pour vivre mieux ensemble ? Comment faire pour se sentir bien dans la ville ? C’est d’ailleurs un sujet qui devrait se trouver au coeur des élections municipales mais qu’on a un peu occulté. Pour résumer, l’urbanisme de qualité, c’est celui qui se pose les questions les plus compliquées pour apporter les réponses les plus simples. Et pas le contraire.

Par exemple?
Quand on ne veut pas s’embêter, il suffit de faire de l’étalement urbain, alors on laisse la ville dépérir. L’étalement urbain, c’est un vrai problème à La Réunion. Ici, on a subi la ville. La construire, c’est autre chose, c’est déjà la penser.

La première chose qui vous a frappé en arrivant ici ?
C’est de retrouver une certaine familiarité avec des choses de mon enfance. Moi je suis originaire d’un milieu agricole. Et cette île agricole me rappelle ce que j’ai connu en Normandie. Y compris au niveau de la langue. Il y a beaucoup de mots que je comprends. Ce qui est extraordinaire à La Réunion, c’est que, quelque soit l’origine des gens qui viennent, ils arrivent à retrouver quelque chose de familier de leur culture d’origine tellement cette île est nourrie d’une quantité d’apports.

Est-ce la même chose pour votre femme qui est coréenne?
Oui bien sûr, elle retrouve ici aussi des choses de son enfance.

Lesquelles?
Des petites choses qui paraissent insignifiantes comme la manière de regarder tomber la pluie depuis une varangue.

Villa Angélique, Saint-Denis
Villa Angélique, Saint-Denis

Qu’est qui vous plaît dans l’architecture créole?
Ce qui me plaît en premier dans la maison créole, c’est l’entrée. Ici, la porte d’entrée de la maison, c’est le barreau. La maison commence dans le jardin.

Cela fait maintenant plus d’un an que vous fréquentez au quotidien les architectes de l’île, comment vous les trouvez ?
Je trouve qu’ils sont très militants. Et pourtant, ils n’ont pas une tâche facile parce qu’il y a un boulot important à mener. Mais ils font le job. Il y a tout ce premier travail d’interface très important qu’ils font avec leur client. Le devoir de conseil est d’autant plus difficile et important qu’on est éloigné du centre de décision, surtout dans un pays jacobin comme la France. Il y a aussi de bons relais comme le CAUE.

Y-a t-il trop d’architectes à La Réunion ?
C’est toujours un vieux débat. Moi j’ai toujours constaté dans les divers endroits où je suis passé que plus il y avait d’architectes, plus il y avait d’architecture.

Puisqu’on parle de jacobinisme, que penser de tous ces textes et réglementations en matière de construction et d’urbanisme qui sont inadaptées à un pays tropical ?
Il y a tout de même la RTAADOM qui est venue remettre de l’ordre. On a toujours ramé ici pour avoir par exemple des bâtiments traversants. Le mérite de la RTAADOM c’est de rendre obligatoire des choses évidentes.

Evidentes, pas tant que ça… tout est souvent histoire d’interprétation…selon la lecture qu’en font les mairies, les bureaux de contrôle…
Il est vrai que l’on trouve des interprétations différentes. Il faut du temps pour que ça s’harmonise. Et il y a sans doute pas assez d’architectes dans les collectivités.

La réglementation, toujours plus contraignante, n’est-elle pas en train de tuer la création ?
Je suis d’accord, on est un peu étranglé par le système normatif qui empêche de faire s’épanouir les projets. Avec ces nouvelles normes, on aboutit à une certaine crise de confiance. Puisqu’on ne fait pas confiance aux architectes pour régler ces problèmes, ça nous prive d’une partie du débat.

Au-delà de l’application des textes de loi dont vous êtes l’un des garants, quelle est votre ligne directrice ?
Celle que je me suis fixé, c’est celle-ci: il n’y doit pas y avoir dans mes décisions la moindre part d’arbitraire. Le but, c’est d’arriver à dialoguer; je m’autorise à me remettre en cause; je n’ai pas d’amour propre.

Comme architecte, vous êtes forcement sensible à certaines formes d’esthétiques. Arrivez-vous à mettre de côté cet aspect dans l’instruction des projets qu’on vous soumets?
Je ne suis pas là pour imposer une esthétique. Il y a le travail de l’architecte qu’il faut respecter parce qu’il croit en son projet. Je fais en sorte dans la mesure du possible de respecter et d’entraver le moins possible cette liberté de création.

David Chipperfield © Ingrid von Kruse
David Chipperfield © Ingrid von Kruse

Un architecte qui vous fait rêver ?
Ils sont nombreux. Mais là je pense à un très beau projet, celui du musée des Beaux-Arts de Reims, où j’étais en poste auparavant, un projet conduit par David Chipperfield. C’est un projet radicalement contemporain mais qui puise dans les racines du territoire. Il y a tout ce que j’aime: un dialogue avec le passé qui n’est pas formaliste mais poétique. J’aime l’architecture qui pose des questions et qui nous fait avancer.

Et à La Réunion ?
Il y a aussi de très beaux projets. Mais je préfère ne pas vous donner de noms. Je ne veux me fâcher avec personne…


Entretien: Laurent BOUVIER

 

 

PORTRAIT CHINOIS

Si vous étiez un meuble?
Une chaise…

Si vous étiez une ville?
Paris, parce que c’est le carrefour de tous les sujets. C’est encore une ville qui rend beaucoup de choses possibles. Une utopie urbaine qui a inspiré le monde. C’est à la foi la ville antique, la cité médiévale, le Paris Hausmanien. La seule mixité sociale qui ait fonctionnée. Une ville également avec une densité.

Si vous étiez un film
Le dernier Empereur. C’est le premier film que j’ai vu au cinéma avec mon père. Je devais avoir 10 ans.

Si vous étiez un plat?
Les tripes à la mode de Caen !

Si vous étiez un monument?
La cathédrale de Coutances, évidemment.

 

 

 

LES TROIS PRINCIPALES MISSIONS DE L’ABF

1. Le contrôle des espaces protégés
les ABF assurent les missions à caractère régalien de gestion des espaces protégés. A ce titre, ils veillent à l’application des législations sur les abords de monuments historiques, les sites protégés, les secteurs sauvegardés et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP).

2. La promotion de la qualité architecturale et urbaine
Les ABF contribuent, à travers leur expertise en matière de projets d’aménagement, à promouvoir une architecture et un urbanisme de qualité s’intégrant harmonieusement avec le milieu environnant, en accord avec les orientations de la loi du 3 juillet 1977 sur l’architecture, de la loi paysage du 8 janvier 1993 et de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000. Dans ce cadre, les ABF sont appelés à émettre des avis consultatifs sur des projets traitant de l’aménagement du territoire: projet d’architecture ou d’urbanisme à forts enjeux, projets inscrits dans le programme national de rénovation urbaine (PNRU), projets inscrits dans le programme de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), installations classées, label patrimoine XXe… Cette mission s’exerce également à l’occasion du suivi des documents de planification urbaine (DTA, SCOT, PLU, cartes communales), dans un souci de maîtrise du développement urbain, de protection des paysages emblématiques et de valorisation des caractéristiques propres à chaque territoire. Plus récemment, les ABF participent aux réflexions liées aux problématiques environnementales et au développement des énergies renouvelables (éolien, solaire…).

3. La conservation du patrimoine
es ABF participent à la surveillance de l’état sanitaire des immeubles protégés au titre des monuments historiques. Ils assurent la maîtrise d’œuvre des travaux de réparation des immeubles classés appartenant à l’Etat. En cas situation de péril ou de carence de l’offre privée ou publique, ils assurent également la maîtrise d’œuvre des travaux d’entretien et de réparation des immeubles classés n’appartenant pas à l’Etat. Ils sont par ailleurs nommés conservateurs des monuments historiques appartenant à l’Etat et affectés au Ministère de la Culture.