Il n’y a pas qu’à Saint-Denis ou Saint-Paul que vous pouvez remonter la rue Labourdonnais en admirant d’anciennes villas créoles. A Pondichéry, en Inde, la vieille ville présente des similitudes étonnantes avec l’architecture réunionnaise. Longtemps délaissé par les autorités, ce patrimoine fait aujourd’hui l’objet de différentes réhabilitations, plus ou moins heureuses, sous l’impulsion de militant comme l’ONG Intach. Cette dernière, par la voix de son porte-parole Ashok Panda, fait un appel du pied aux architectes réunionnais.

Ashok Panda milite depuis 15 ans avec sa fondation Intach pour sauver le patrimoine de Pondichéry.
Ashok Panda milite depuis 15 ans avec sa fondation Intach pour sauver le patrimoine de Pondichéry.

Ashok Panda, que reste-t-il de l’ancien comptoir français de Pondichéry aujourd’hui ?

L’influence française de Pondichéry se ressent encore beaucoup dans la ville, au travers des anciens bâtiments coloniaux, des institutions françaises comme le consulat, le lycée français, l’Alliance Française… On retrouve ces anciennes bâtisses dans le quartier historique français.

Hôtel Lagrenée de Mézières construit en 1772.
Hôtel Lagrenée de Mézières construit en 1772.

Quel est votre bâtiment préféré, et pourquoi ?

J’aime beaucoup les bâtiments qui abritent aujourd’hui l’Institut Français de Pondichéry et l’hôtel de l’Orient, en raison notamment en raison des personnages originaux et authentiques qui ont vécus dans ces lieux.

Les rues du vieux Pondichéry portent encore leur nom français.
Les rues du vieux Pondichéry portent encore leur nom français.

Il semble qu’il y ait un début de prise de conscience à Pondichéry dans la sauvegarde du patrimoine. L’éboulement récent de l’hôtel de ville a t-il réveillé les consciences ?

Oui, ça a fait un électrochoc. Les gens se sentent aujourd’hui davantage concernés par la préservation de leur patrimoine. En ce sens, Pondichéry est un peu en avance sur l’ensemble des autres villes de l’Inde. Il est vrai qu’Intach milite et travaille maintenant depuis 15 ans pour protéger le patrimoine architectural de Pondichéry. Progressivement, les autorités locales ainsi que la société civile en sont venues à adopter une approche proactive pour préserver la beauté de leur ville. L’effondrement de la mairie, symbole de notre ville, a fini de réveiller tout le monde.

“Ici il n’y a pas de lois pour protéger les bâtiments patrimoniaux”

Quel est le travail réalisé par votre fondation ?

Nous avons restauré environ une soixantaine de bâtiments, à la fois dans le quartier tamoul et français. Nous travaillons en étroit partenariat avec les autorités locales. Les travaux sont plus ou moins conséquents, depuis la réhabilitation complète jusqu’à la rénovation de la façade.

Le consulat de France est hébergé dans l’un des bâtiments patrimoniaux les plus remarquables de la ville.
Le consulat de France est hébergé dans l’un des bâtiments patrimoniaux les plus remarquables de la ville.

Vu d’ici, on a l’impression que les projets de restauration sont plutôt des projets de rénovation. En France, et notamment à La Réunion, les architectes du patrimoine prennent le soin, tout en restaurant, de garder les traces du temps tout en retrouvant, autant que possible,  l’aspect originel. A Pondichéry, on n’a pas de scrupules à ajouter un étage, on n’a pas peur de faire des ajouts…

Oui pour certains bâtiments, il arrive que nous ajoutions un étage, ou des pièces adjacentes au bâtiment principal. Ceci dit, beaucoup de bâtiments ont été restaurés sans aucune modification par rapport à la structure originale. Mais s’il vous plaît, n’oubliez pas qu’ici, contrairement en France, nous n’avons pas de lois pour protéger les bâtiments patrimoniaux. Nous devons penser leur restauration dans un projet économiquement viable. Quitte à ce qu’il y ait une réutilisation complètement différente par rapport à leur fonction initiale. De toute façon, si nous n’apportions pas de modifications, même mineures, la plupart des propriétaires privés aurait démoli les maisons.

L’effondrement de la vieille mairie a réveillé les consciences.
L’effondrement de la vieille mairie a réveillé les consciences.

Y-a-t-il un espoir que la législation évolue ?

Oui. Ça bouge un peu. Nous en sommes très fiers: pour la première fois nous avons réussi à convaincre le conseil municipal de prendre un arrêté dans ce sens : 21 bâtiments patrimoniaux ont été déclarés comme PROTEGÉS !

L’exemple réussi d’une réutilisation d’un ancien bâtiment, ici l'ancien poste de douane reconverti en café.
L’exemple réussi d’une réutilisation d’un ancien bâtiment, ici l’ancien poste de douane reconverti en café.

Vu le cousinage architectural entre Pondichéry et La Réunion, y-a-t-il des contacts qui sont noués pour partager les savoir-faire, trouver des financements ?

Il y a eu des contacts amicaux mais pas encore d’engagements officiels. Mais après la visite de M. Gastebois, votre architecte des Bâtiments de France, nous espérons avoir quelques partenariats officiels avec La Réunion. Nous avons également sollicité l’aide de l’ambassadeur français en Inde pour faire avancer le dossier.

Le quartier tamoul fait lui aussi l'objet de rénovation. Ici, l'atrium de la "Maison Tamoule" un hôtel de charme de la chaîne Neemrana's qui restauré de nombreux bâtiments patrimoniaux en Inde
Le quartier tamoul fait lui aussi l’objet de rénovation. Ici, l’atrium de la “Maison Tamoule” un hôtel de charme de la chaîne Neemrana’s qui restauré de nombreux bâtiments patrimoniaux en Inde

Quels sont les besoins ? Y-a-t-il de la place pour les architectes de la Réunion sur des projets de restauration ?

Évidemment, nous voyons qu’il y a beaucoup de similitude dans l’architecture coloniale de La Réunion et de Pondichéry. Les bâtiments des deux sites ont été construits à la même époque, nous constatons l’utilisation de matériaux similaires, de méthodes de construction identiques. Il est évident que nous avons besoin du savoir-faire que les architectes de l’île ont accumulé dans la réhabilitation de leur patrimoine (grâce à la politique en ce sens de leur pays). Et si cette collaboration commençait avec la réhabilitation de notre vieille mairie en ruine ? Chiche ?


Entretien:
Laurent Bouvier

 

La coopération avec Pondichéry
se met en place avec un projet pilote

La restauration du pensionnat de jeunes filles de Pondichéry pourrait augurer d’une coopération accrue entre La Réunion et Pondichéry sur la sauvegarde du patrimoine de l’ancien comptoir français.

Il y a d’abord eu la visite de Raphaël Gastebois en février dernier pour prendre contact avec les autorités locales et la fondation INTACH. L’architecte en chef du patrimoine à La Réunion a constaté l’effondrement de la mairie de Pondichéry. “L’idée a germé de mettre en place une coopération avec Pondichéry pour la sauvegarde de son patrimoine explique Raphaël Gastebois. Une réunion a eu lieu d’ailleurs fin août à La Réunion en préfecture pour faire le point. Le projet de restauration de l’ancienne mairie est le plus emblématique mais il y a aussi d’autres projets en vue et notamment un pensionnat de jeunes filles.”

En parallèle, une délégation réunionnaise de 21 membres a fait tout récemment un détour depuis Chennaï à Pondicherry et manifesté son intérêt à coopérer à la conservation du patrimoine de l’ancienne ville coloniale. Le premier projet commun envisagé est justement la restauration du pensionnat de jeunes filles sur Beach Road. La délégation, emmenée notamment par Théophane Narayanin de la CCIR, a rencontré l’ambassadeur français en Inde François Richier, le Consul général français Philippe Janvier-Kamiyama, et toute l’équipe d’INTACH. “Avec ses liens culturels, l’île de la Réunion a un rôle important à jouer entre la France et l’Inde. L’île a un climat et une architecture similaire à celle de Pondichery. Et la Réunion possède une expertise dans la restauration de bâtiments patrimoniaux et utilisation de matériaux durables “, a expliqué au quotidien indien The Hindu Murielle Bertile, chargée de la coopération régionale au consulat de France à Pondichéry. «La réalisation de ce projet pilote donnera de la visibilité et de la crédibilité à notre projet de coopération. Voilà pourquoi nous avons suggéré le pensionnat de jeunes filles. L’école sert l’éducation des filles pauvres » a déclaré Ashok Panda, le représentant d’INTACH. Affaire à suivre.

L’article de The Hindu

 

Pour plus d’informations

Le site de la fondation Intach
www.intachpondicherry.org/

Ballade dans les rues de Pondichéry
Pondichéry en blanche et noire