Il était persuadé “qu’il n’y avait rien d’intéressant à dire sur lui” et pourtant c’est avec une étonnante sincérité qu’il nous livre une personnalité plus complexe que prévue, entre un parcours “trop docile” à son goût et des fantasmes extravagants! Voilà : c’est ça que je voulais savoir sur Olivier Ehresmann.


le sport 

Olivier, je vais commencer par le plus facile : le sport. T’es connu pour en faire beaucoup.
— C’est juste lié à un caractère angoissé et stressé, c’est un moyen d’expulser les toxines accumulées.

C’est une passion ?
— Non ce n’est pas une passion, c’est plutôt un besoin, au même titre que respirer. Je multiplie les activités mais finalement les sports qui m’éclatent sont les sports “hors club”. Mon besoin se situe d’avantage dans une activité minimaliste, comme courir dans les bois, qui développe un lien fort avec l’environnement. Pour moi les deux activités les plus jouissives sont le surf et la course à pied.

La notion de liberté y est très importante
— Clairement, oui, pas de compte à rendre, pas de règles (sauf pour ne pas percuter les autres surfeurs). Ce n’est pas une compétition mais plutôt une question d’émotion; la performance n’est pas une finalité, uniquement un moyen parmi d’autre pour progresser. La glisse, même celle de la course à pied, permet de s’extraire de la gravité, celle qui te retient au sol et t’englue dans les conventions.

Le coté “lâcher prise” ….
— Exactement. C’est souvent difficile de faire la part des choses  et finalement le sport est un outil qui me permet de hiérarchiser mes priorités.

Cette notion de compartimenter ta vie, a l’air essentielle pour toi.
— Oui, par exemple je ne parle jamais de mon travail à la maison. Sinon tu ramènes “la plinthe qui se décolle” chez toi et au final tu exploses en plein vol !  J’aime bien prendre cet exemple parce que notre travail d’architecte embrasse tellement de problé•matiques et souvent, à la sortie, t’es jugé sur “la plinthe des chiottes qui se décolle”!!  Compartimenter c’est une mesure de protection, c’est pour moi le meilleur moyen de sauvegarder mon intégrité.

Quels sont les sports qui t’intéressent ?
— Ceux que je fais!! Je ne regarde pas le sport à la télé, d’ailleurs je n’ai pas la télé!

Au lycée, t’étais du style “leader de l’équipe de baseball “!
[rire] — Ah, non pas du tout, j’étais du style complexé !
Par contre je suis très fâché avec le sport à l’école: à l’issu de ma scolarité, ma note sur le bulletin de terminale c’était 4 /20 avec comme remarque “fait ce qu’il peut”!! Et l’été suivant je faisais mon pre•mier triathlon!
Le problème du sport à l’école est qu’il est discriminatoire: on valorise la notion de performance au détriment de la notion de plaisir.

la création divine 

Ta rigueur influence t-elle ton architecture?
— Oui et Non… Oui, car il y a un minimum de méthode dans le processus de conception, ne serait-13 ce que pour hiérarchiser les contraintes et reformuler la question de programme. Non, parce qu’au final, il y a, dans la conception architecturale, une étape qui est guidée par l’intui•tion du moment. C’est une étincelle, tu ne sais pas d’où elle vient et ce qui la motive. Peut être que tu ne fais, au final, que régurgiter tout ce que tu as appris et vu.

Ton processus de création est donc le “flash”, tu as l’impression d’être créatif ?
— Alors là, par contre, je ne pense pas que les architectes soient des créatifs ou créateurs. Je pense que le mot de création est à utiliser avec parcimonie : parce que pour moi il n’y a bien que le “bon dieu” qui crée : créer c’est à partir de rien, du néant…. Nous ne faisons que ré agencer ou reformuler avec plus ou moins d’acuité nos acquis… Dessiner de l’architecture, c’est de la conception et ça m’énerve d’entendre “j’ai créé un alignement, une cage d’escalier.” Et pourquoi pas un réseau d’égout…!

Donc on vit dans un monde où il ne peut y avoir de création puisqu’on a déjà tout!?
— C’est une question de terminologie, on ne fait que transformer. Ce n’est pas moins motivant et enthousiasmant…

Alors, penses-tu faire parti des architectes qui ont de l’imagination?
— J’essaye de donner des réponses les plus pertinentes possibles. Tout ce que je fais, je le fais avec conviction. Je suis incapable de faire un truc à moitié. Ca ne veut pas forcément dire que je le fais bien: je peux mal le faire, mais avec conviction!! En même temps, la ville n’est pas composée que de cathédrales, par contre il faut une certaine cohérence, unité…..des ruptures…. qui appellent plutôt à l’humilité du concepteur.

Donc pour toi, concevoir l’architecture est avant tout le fruit d’un travail?
— Oui, tu as mis le doigt dessus, je crois plus au processus de conception par le travail plutôt que quelque chose de totalement spontané. Cela dit une des étapes reste l’intuition et cette intuition est guidée par des outils. Personnellement il me faut une prothèse, en l’occurrence le crayon et quand je prends le cray•on je ne sais forcement où il va me mener. C’est la prothèse, le catalyseur qui permet à l’intuition de s’exprimer, du coup c’est fallacieux car l’expression de l’intuition est limitée par l’outil. Moi, c’est clair, c’est le crayon qui pense! Je rêve d’utiliser la pâte à modeler, imagine un peu le résultat…

rock star

Mais tu as un tatouage !!….?
— Ah, oui, j’ai fait mon premier concert rock ce week end et comme je n’avais pas de blouson de cuir, j’ai saisi l’opportunité de faire un tatouage! (une chauve souris sur le bras gauche, ndlr)

Là, c’est drôle, on apprend que t’es une rock star!!
— Enfin, le concert était chez des copains et l’objectif était de se marrer. Par contre, être une rock star aurait été mon vrai fantasme!

Une rock star est au contraire très exposée et plutôt “border line” à l’inverse de ton mode de vie!
— Exactement, c’est pour ça que je trouve ça super. Et puis je me dis souvent que je n’ai pas de passion et la musique aurait pu être une passion, et des fois je me dis que je suis passé à coté de quelque chose!

Tu serais capable de faire des sacrifices pour elle?
— Dans la hiérarchie de mes priorités, ma famille arrive en premier.

A moins que tu ne sois très raisonnable, une passion devrait détrôner une priorité
— Ah, non, je ne vois pas bien comment détrôner ma famille!  Mais c’est vrai que je suis quelqu’un de raisonné, mes choix sont réfléchis. C’est parce que je suis issu d’une culture protestante. C’est clairement l’empreinte de mon éducation: on était pas par•ticulièrement pratiquant mais c’est une façon de voir les choses très cartésienne.

Olivier, es tu un homme heureux?
— Aujourd’hui, oui, peut être parce que les choses sont claires dans ma tête

Pour toi, le bonheur c’est d’être limpide ?!
— Ben ça aide, je m’éclate avec ma famille, j’ai fait mon concert, je n’ai pas trop de pression en ce moment, à moins que je sache la gérer pour l’instant…… Par contre, au-delà de ça, je ne suis pas heureux de la façon dont la société évolue, ça m’angoisse. Avec cette terrible impression d’avoir été trompé.

C’est-à-dire?
— Je suis un pur produit de la société, je vis comme on m’a dit que c’était bien de vivre, selon un modèle : j’ai une belle réussite sociale, telle qu’elle était attendue par mes parents et par la société, j’ai un travail, une maison, une voiture, je cotise pour ma retraite ….

C’est vrai que tu incarnes le “french dream”!
— Quand je fais le bilan je me rends compte que je réponds assez bien à ce pourquoi j’ai été formaté. On peut dire que j’ai excellé à être médiocre en tout pour pouvoir emprunter le chemin le plus droit. C’est pour ça que je me surprends à rêver d’être une rock star!!! Par refus des conventions.

Et tu dis ça avec tristesse?
— Je pense qu’un jour j’aurai des regrets de ne pas avoir été “jusqueboutiste”, militant de la pre•mière heure … Pourtant j’aurais tendance à faire aujourd’hui, d’une certaine façon, “l’éloge de la médiocrité” par réaction à une société qui valorise l’excellence: je veux dire par là qu’on a pas besoin forcement d’être le meilleur, que l’important est de faire les choses avec foi et surtout de prendre du plaisir.
Merci Olivier