Nikki Jinka enseigne l’architecture au Cap en Afrique du Sud. Venu participer avec ses étudiants à La Réunion à un workshop sur l’architecture tropicale dans les Hauts, il pose depuis notre caillou, un regard sur son pays, son métier et le challenge que sa jeune génération d’architectes sud-africains doit relever.
Nikki, vous sentez-vous un cousinage tropical avec La Réunion ?
Je viens de la ville du Cap qui a un climat méditerranéen, alors c’est quand même très différent. L’été est chaud et sec et l’hiver très froid. Les procédés constructifs du coup sont très différents. Chez moi, on se protège du vent et du froid.
Qu’est-ce qui vous frappe ici à La Réunion ?
Moi qui suis métissé, qui vient d’une des rares villes d’Afrique du Sud où il y a du métissage, je suis très sensible à ce que l’on peut voir ici, ces cultures qui se mélangent, ce vivre ensemble, c’est magnifique mais…
Mais ?
Mais en même temps ça me rend triste aussi parce que chez moi, on est loin de cette carte postale. Voilà 22 ans que l’apartheid est tombé et nous n’avons pas encore les conditions d’un vivre ensemble…
« Les townships concentrent la plupart des problématiques sociales, urbaines et donc architecturales »
En regardant les publications architecturales chez vous, ce qui frappe, c’est qu’on a l’impression que le cadre constructif est assez libre, vous pouvez faire ce que vous voulez, alors qu’ici le cadre est très très contraint…
Mais je trouve que c’est bien d’être réglementé. Vous évoquez sûrement ces belles villas d’architectes sur la côte du Cap mais en même temps, chez nous, vous avez tout et n’importe quoi. Par exemple, on a des gens qui essaient d’imiter l’Italie, et je ne trouve pas que ce soit du meilleur goût…
Mettons de côté les belles villas des magazines et partons du côté des townships…
Les townships concentrent la plupart des problématiques sociales, urbaines et donc architecturales. C’est une question essentielle pour moi. Vous savez, en Afrique du Sud, pendant l’apartheid, beaucoup de gens étaient privés du droit de propriété. Une des choses les plus importantes qu’ils ont gagné avec la démocratie est de pouvoir “posséder” leur maison. Du coup, tout le monde a voulu sa maison et son petit terrain. Même si elles étaient précaires, insalubres, c’était le symbole, l’affirmation d’un nouveau statut. Le problème, c’est que le gouvernement n’a pas du tout maîtrisé et anticipé ce phénomène. La conséquence a été un étalement urbain très fort avec des quartiers de plus en plus loin des centre-villes, des routes et des axes urbains, des équipements et des services.
Quelle est la solution ?
Il n’y a pas 10 000 solutions, on doit densifier. Il faut concentrer nos efforts sur la question des espaces communs, des services, du lien, des réseaux, de l’interconnexion, bref, ça s’appelle faire de la ville. C’est une question de société.
C’est la même problématique ici….
Oui, mais elle prend des proportions très importantes en Afrique du Sud.
C’est un problème politique, non ?
Oui mais les politiciens ne comprennent pas ces problématiques. Ils n’ont pas de notions d’urbanisme et d’architecture. Et puis l’urbanisme nécessite de penser sur un temps long, le politique, il est sur le court terme.
Est-ce que chez les architectes sud-africains, aujourd’hui, on retrouve la diversité du pays ?
Disons que le portrait robot de l’architecte en Afrique du Sud, c’est un homme et il est blanc…
Et vous, Nikki, c’est quoi votre rêve d’architecte métisse ?
Je travaille avec une ONG suédoise dans les bidonvilles du Cap, pour construire des petites maisons pour des gens qui n’ont rien, pas de moyens. Même si ça ne fait pas la Une des journaux, c’est ce qui me fait avancer, ce qui me donne aujourd’hui la plus grande satisfaction.
Qu’est-ce que vous essayez d’apporter personnellement à ces projets ?
Les gens rêvent d’avoir une grande maison en brique avec un toit en tuile. Moi j’essaie de leur proposer des alternatives avec des matériaux disponibles, de récupération. Par exemple, des sacs de sables comme mur, c’est un exemple, il y en a plein d’autres. Dans nos projets avec l’ONG, on essaie de faire en sorte d’abord de répondre à des besoins et de ne pas forcément faire un copier-coller d’un modèle importé. J’essaie de convaincre les gens d’utiliser des matériaux et des procédés constructifs qu’ils peuvent eux-même mettre en œuvre. On invente avec eux leur habitat, on milite aussi pour qu’ils laissent de la place aux espaces communs. Mais il faut se battre pour faire comprendre certaines choses.
Et quand ils prennent possession de leurs nouvelles habitations, sont-ils convaincus ?
Yes they are. Mais c’est un sacré challenge.
L’architecture est un sport de combat a écris l’architecte Ruddy Riccoti….
Oui, c’est tout à fait ça…
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Entretien:
Laurent BOUVIER (traduction Dilsha MOTTEE)