Très active à travers son agence Zone UP  Paysage ou l’association « Objectif paysage », Laurence Brégent plaide pour une meilleure intégration des paysagistes dans les projets sur le territoire et invite les architectes à les faire davantage participer à la conception de leurs projets. Elle tire enfin la sonnette d’alarme sur une profession en crise.

Pour Laurence Brégent, le paysagiste «doit avoir toute sa place auprès de l’architecte dès la prise de connaissance du site et du programme.»
Pour Laurence Brégent, le paysagiste «doit avoir toute sa place auprès de l’architecte dès la prise de connaissance du site et du programme.»

Laurence Brégent, un paysagiste a-t-il forcément des bottes pleines de terre et des plants dans son coffre ?
C’est vrai que quand je dis que je suis paysagiste, les gens ont l’impression que je coupe des roses tous les matins dans mon jardin. C’est beau mais le paysage, ce n’est pas uniquement le jardin.

C’est quoi alors ?
Le paysage s’inscrit dans un environnement, un monde plus large que le jardin.

Et le métier de paysagiste ?
Le métier de paysagiste, il est vaste. Je dirais que c’est quelqu’un qui observe le territoire, qui tient compte du vivant : la saisonnalité, la croissance du végétal, la maîtrise du biotope. C’est aussi quelqu’un qui dialogue avec les acteurs du territoire, mais qui avant tout participe à l’amélioration du cadre de vie.

Et concrètement, quel est son champ d’application professionnel ?
On travaille sur plusieurs niveaux. On peut faire par exemple une étude de paysage à l’échelle du territoire. On travaille sur des documents d’aide à la lecture du paysage qui vont alimenter la politique du territoire. Et on travaille à l’échelle du projet : de la ville au jardin en passant par le quartier, le square, le parc et le logement.

On est loin du jardinier qui se dit aussi paysagiste…
Le titre n’est pas protégé. Du coup, le paysagiste, c’est autant celui qui a une entreprise de paysage que le concepteur. C’est pourquoi souvent on fait le distinguo en se définissant comme paysagiste-concepteur. La fédération française du paysage (FFP) se bat d’ailleurs pour faire reconnaître ce titre.

Comment devient-on paysagiste ?
Il y a 4 ou 5 écoles en France qui forment au métier. On en sort avec le titre de paysagiste DPLG ou ingénieur-paysage. C’est avant tout un métier de passion. Au départ, il y a une vibration, quelque chose d’organique dans le rapport qu’on entretient avec le paysage. Souvent je vois des photos d’un site, je gribouille et après je vais sur place et là, c’est autre chose, de l’ordre du ressenti, comme si le site me parlait. Avant de faire le projet, il faut comprendre le lieu : comment il s’organise, son lien avec les habitants, son histoire.

En quoi l’apport du paysagiste est fondamental à l’architecte dans son projet de bâtiment ?
Le bâtiment est inscrit dans un rapport avec la biodiversité qui l’entoure. La lecture du paysage est un acte primordial et fondateur de l’acte de construire : elle inspire et oriente le projet.

D’autant plus à La Réunion où l’extérieur et l’intérieur sont intimement liés…
On n’est pas n’importe où. C’est une évidence mais il faut le rappeler : nous vivons sous un climat tropical avec un art de vivre tourné dehors, sur le jardin. Ce qui amène un lien intime avec le végétal. Le jardin, les espaces privés ou publics sont des lieux de vie à part entière avec des codes spécifiques dans le rapport à l’intimité. Ces notions sont indissociables du projet de construction qui se tisse avec le quartier et la ville. Et dans cette approche, le végétal, occupe une place particulière par ses multiples dimensions : écran, écrin, généreux, symbolique, nourricier, ombrageant, repère… Ce petit territoire immense dans sa diversité et son métissage culturel nous offre de multiples possibilités d’expression : une grande biodiversité, un rapport séculaire privilégié de la population avec la terre et le végétal, des paysages grandioses à portée de regard. Ce cadre extraordinaire nous est offert ; à nous de le lire, de le respecter et de le faire revenir auprès des habitants.

Autrement dit, faire du paysage dans un projet d’architecture, ce n’est pas seulement mettre quelques arbres, c’est travailler en amont à la conception…
Oui, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Il est important que l’on reconnaisse davantage la part de création du paysagiste dans un projet de construction. Il doit avoir toute sa place auprès de l’architecte dès la prise de connaissance du site et du programme… Il doit participer à l’évolution du projet en travaillant à la relation intérieur/extérieur à l’échelle du bâtiment, de l’opération ou du quartier…Il doit apporter une dimension durable et évolutive au projet en travaillant sur le vivant. Le problème, c’est qu’on ne nous en donne pas toujours les moyens.

« Le paysagiste n’est pas qu’un technicien »

Cette compétence n’est pas reconnue  ?
Au sein d’une équipe de maitrise d’œuvre, la place du paysagiste est souvent difficile à prendre. On est sur des moments de projet, pas sur la longueur et la transversalité. Ce qui fait que la cohérence n’est pas assurée. Certes, le paysagiste au sein de l’équipe de maitrise d’œuvre a aussi un rôle de technicien avec un regard tout particulier sur l’espace extérieur – expertise végétale, sol, relief, mobilier, lumière – mais pas seulement. Le métier de paysagiste souffre d’une surévaluation de la technique. Or nous sommes davantage dans le domaine du sensible, du vivant que de la technique. Je ne suis pas qu’une technicienne et j’ai besoin d’être reconnue en tant que tel.

Néanmoins, le paysagiste s’est fait une place dans les projets
C’est vrai qu’on partait de loin. Je me souviens en 1991, quand je suis arrivée à La Réunion, l’un des architectes avec qui je travaillais sur un projet m’avait dit : «Arrêtez de réfléchir, ça a déjà été pensé.» C’est dire le peu de considération qui nous était donné. Mais encore aujourd’hui, j’ai des architectes qui font appeler leur secrétaire pour que je réponde à un appel d’offre. Or, pour dire oui, il faut que je partage la vision de l’architecte, il y a un minimum d’échanges directs à avoir en amont. C’est essentiel.

Bref, il y a encore des freins…
Oui, des freins persistent : comme je l’ai dit, la place du concepteur paysagiste dans les opérations doit être davantage clarifiée et valorisée. Il faut qu’à minima on soit vu comme un partenaire qui positionne les enjeux du territoire et son articulation avec le projet . L’idéal, étant de contribuer à ce que l’architecture du projet devienne organique.

Est-ce que les freins ne sont pas davantage en amont, dans les programmes où le volet paysager est la portion congrue ?
Il y a clairement une programmation insuffisamment exigeante sur les aspects paysagers. Souvent dans le logement social, c’est la caricature. On nous dit : il faut que j’ai mes 15 arbres sur mon parking… et basta ! Et je ne parle pas de l’insuffisance de prise en compte de l’entretien dans les budgets de fonctionnement. J’ai quelquefois l’impression d’être une artiste de land-art éphémère. Quand des amis me demandent : tu peux nous montrer des lieux où tu as travaillé ? J’ai du mal à leur montrer ces lieux tant ils ont subi la problématique de l’entretien.

« On consomme des emplois verts »

La prise de conscience environnementale ne se traduit pas dans la politique d’aménagement du territoire ?
C’est paradoxal. Il y a d’un côté une vraie évolution de la demande sociale par rapport à l’environnement ces dix ou quinze dernières années. Mais le problème, c’est que la réflexion menée ici par les politiques sur le paysage et l’espace public n’est pas à la hauteur de ces attentes. Il y a clairement un manque de structuration des collectivités dans une politique de gestion des espaces publics. Qu’est-ce qu’on fait ? On consomme des emplois verts mais pour acheter la paix sociale, sans prendre la peine de les former, de réfléchir en amont sur le paysage et du coup, on est dans la gestion temporaire de l’emploi, pas dans la professionnalisation. Tous ces parcs éphémères et ces millions qui partent en fumée, ça me fait mal. Alors qu’il y a tant à faire.

Votre métier est-il en crise ?
Oui, on peut le dire. Notre activité est très fragilisée. Il y a eu une implosion des structures. La plupart des paysagistes travaillent aujourd’hui seul. On subit la concurrence avec les paysagistes de métropole. Ça n’a rien à voir avec leur compétence mais dans ce domaine, la connaissance du milieu est primordiale. Il en résulte des projets parfois déconnectés du contexte et de la connaissance fine des savoirs et savoir-faire locaux. Et puis quand je vois un paysagiste qui vient une fois tous les deux mois pour suivre un chantier de parc… Par ailleurs les concours d’urbanisme et paysage ne sont pas nombreux à La Réunion. Si on rajoute à ça des prix revus à la baisse alors que dans le même temps les contraintes réglementaires se font de de plus en plus pesantes, ça devient intenable. Mais les architectes connaissent ça…


Entretien : Laurent BOUVIER

 

Une femme qui parle aux arbres

« Pourquoi le paysage ? Petite, j’habitais à la campagne. Mon copain, c’était le vieil agriculteur du coin, avec qui j’aimais parler et le regarder travailler le champ. J’étais toujours à crapahuter dehors… Je ne savais pas encore ce que je voulais faire mais il était évident que j’aurai un métier tourné vers l’extérieur. J’aimais déjà dessiner et créer…Le métier de paysagiste était fait pour moi ! J’ai un temps été tenté par des études d’architectures et puis je suis passé par un lycée agricole. C’est là que j’ai pris un aller simple pour l’Ecole Nationale des Ingénieur des Techniques Horticoles et du Paysage (l’ENITHP).

Evidemment, ici à La Réunion, où l’on est tourné sur l’extérieur, le dehors, je suis servie. Inutile de dire que j’aime me balader dans cet environnement exceptionnel. Je recherche dès que je peux la nature, je peux dire que j’ai un rapport intime avec elle. J’aime lui parler. Ça fait partie de mon développement personnel, pour moi c’est une porte ouverte, une fenêtre vers l’ailleurs : le monde du vivant qui n’est pas simplement celui de l’homme. Je sais, ça fait un peu bizarre de le dire comme ça mais je parle aux arbres, j’aime communiquer avec eux !

Mon jardin au bord d’une ravine

Mon jardin ? C’est un peu comme un architecte qui a du mal à dessiner sa maison. Ce jardin n’est pas forcément réfléchi. C’est un jardin au bord d’une ravine, c’est l’écrin qui m’importe, je me ballade pas forcément avec des graines dans la poche. Il s’enrichit au gré des rencontres, je reviens avec des boutures de chez les amis. C’est surtout le résultat de rencontres.

Parallèlement, je pratique depuis des années le yoga. C’est indispensable à mon bien-être. Cela nourri mon quotidien, il y a toujours ce besoin de m’ancrer dans le sol, d’être en contact avec la terre et de m’élever. Et puis, c’est une façon d’enlever le stress et de garder de l’énergie au quotidien. Notre métier est assez stressant. Dans ma vie quotidienne, ça m’aide également à trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et mon rôle de maman. J’ai trois enfants et cette recherche d’équilibre est difficile mais permanente. Je suis attentive à la qualité du temps passé avec mes enfants. Comment les accompagner au mieux dans ce chemin de vie qui s’annonce difficile ? Les réponses pour moi sont dans le regard porté sur l’extérieur, le jardin, l’autre. »

 

Exemples d’études et réalisation

 Etudes de maitrise d’œuvre

Un jardin fraichement planté avant de devenir luxuriant
Un jardin fraichement planté avant de devenir luxuriant

40 logements à Casernes Dupuis CBA à Pierrefonds.
Projet lauréat O.Erhesmann architecte. Ministère de la Défense. Projet architectural développé selon les lignes de composition paysagère du site : influence dans l’organisation du bâti, la protection des vents dominants, la position des cheminements et de la stratégie végétale, etc.

 

Kélonia, l'observatoire des tortues marines (Saint-Leu)
Kélonia, l’observatoire des tortues marines (Saint-Leu)

Kélonia
Projet Lauréat. Région Réunion. N. Grouard, architecte – Un écrin végétal rappelant les écosystèmes des tortues et participant au parcours muséographique…

Champ Fleuri (Saint-Denis)
Champ Fleuri (Saint-Denis)

Parvis de Champ Fleuri
Conseil Général de La Réunion. Réhabilitation de l’espace public en libérant un espace libre central polyvalent et favorisant l’articulation du site avec le quartier. Le mobilier a été dessiné pour un usage polyvalent ou détourné (banc, table, etc.) et le sol en lames de basalte évoque le lien entre le parvis minéral et la prairie verte et accueillante.

 

Etude de grand paysage

Le sentier littoral de Saint-Leu
Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres –Exemple d’étude paysagère sur un site naturel présentant des principes d’aménagement du sentier littoral sud de St Leu illustré de croquis d’ambiance et des plans de principes (en l’absence de plan topographique des 9 km de parcours)

 

"Les Fonderies"
« Les Fonderies »

Ile de Nantes : clin d’oeil
L’ile de Nantes est un projet ambitieux inspiré de la mémoire industrielle du site et comprenant des projets architecturaux étonnants. Le projet des « fonderies » nous montre sous un climat tempéré, comment la luxuriance végétale transforme le lieu, habite la structure de la construction et invente un espace public convivial et pratiqué.

« Objectif paysage »

L’association « Objectif paysage » dont Stéphane DAGOMMER est la présidente réunit 15 paysagistes de l’île dont certains font partie de bureaux d’études communs: Philippe CRETIN, Alexandra BREL, Nathalie ALVES, Clément AQUILINA, Marthe BOULLENGER, Laurence BREGENT, Audrey BURLOTTO, Yann CIRET, Sébastien CLEMENT, Clémence LECAPLAIN, Estelle PIETTRE, Michel REYNAUD, Emmanuelle WAGNER, Adèle MOURY.

Contact : C/o SODEXI – 36, rue MONDON – 97 419 La Possession
Tél/Fax : 02 62 33 31 20 – objectifpaysage@yahoo.fr

Devenir paysagiste

Le brevet de technicien supérieur agricole BTSA aménagements paysagers peut être une étape dans la formation d’un concepteur ou architecte paysagiste mais il n’est pas suffisant. Ce BTSA se prépare dans une trentaine d’établissements publics et privés (lycées d’enseignement technique agricole).

Plusieurs écoles accessibles après ce BTSA  et une classe prépa délivrent un diplôme de paysagiste DPLG (diplômé par le gouvernement) et le titre d’ingénieur :

École nationale supérieure du paysage
www.ecole-paysage.fr

École nationale supérieure d’architecture et du paysage
www.bordeaux.archi.fr

Institut des techniques de l’ingénieur en aménagement paysager
www.itiape.fr

Agrocampus Ouest
www.agrocampus-ouest.fr

École nationale supérieure de la nature et du paysage
www.ensnp.fr

École supérieure d’architecture des jardins
www.esaj.asso.fr

Dans le cadre universitaire, il existe également quelques masters professionnels ou de recherche dans le domaine du paysage (Paris 1, Tours, Angers, Aix-Marseille 1)
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr