A l’origine du succès des cases Tomi, il y a bien sûr le constructeur Maurice Tomi mais également un architecte génial en la personne de Fabien Vienne. Manon Scotto est venue à La Réunion faire un travail de recensement pour les besoins de sa thèse en architecture.
Manon Scotto, vous venez de passer trois semaines à arpenter La Réunion à la recherche de cases Tomi, combien en avez-vous repéré ?
Beaucoup…
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à leur concepteur Fabien Vienne?
C’est une longue histoire. Pendant mes études à l’école d’architecture de Marseille, nous devions étudier en master des projets du patrimoine du XXe siècle. Tous mes camarades avaient choisi de travailler sur des projets de stars de l’architecture, Zara Adib, Rudy Ricciotti…
Moi j’ai choisi de me pencher sur le projet de Notre-Dame de la Garde, 170 logements sociaux sur les hauteurs de la Ciotat. J’avais pu voir une carte postale représentant la colonisation de cette colline par des cubes blancs. C’était très poétique. J’ai alors un véritable coup de foudre pour l’opération, pour cette architecture proliférante qui arrive à proposer de la densité sans pour autant tomber dans la facilité. J’apprend que l’architecte est Fabien Vienne. Je cherche des renseignements sur lui: quasi rien.
Et vous partez le rencontrer à Paris…
Il avait 88 ans mais avait gardé une vivacité d’esprit exceptionnelle. Il passe des heures à me parler de ce projet… Je découvre aussi sa passion pour la géométrie et les jeux de construction.
Et c’est cet aspect de son travail qui vous intrigue particulièrement…
Rien d’étonnant finalement, la géométrie est une science constitutive de l’architecture. Elle est un outil de conception et de représentation. Je me dis: il y a là un sujet intéressant. Pourquoi ne pas en faire un sujet de thèse ? Une thèse qui s’intéresserait aux trames, ces grilles qu’utilisent les architectes pour composer leurs bâtiments et qui leur permet de maîtriser le projet à toutes les échelles.
Du coup, vous repartez pour une série d’entretiens…
L’idée, cette fois-ci, est de rester quelques jours pour l’interroger sur son œuvre, sa vision de la géométrie et sa façon de concevoir la trame. Il me regarde et il me dit : vous faites quoi les prochaines semaines ? Je passerai trois mois chez lui dans son agence-appartement, un grand loft en RDC à Paris. Il à 90 ans, on a alors 70 ans d’écart, mais nos échanges vont s’avérer passionnants.
Fabien Vienne est un architecte peu connu mais pourtant son œuvre est singulière…
Il aura été un acteur et aussi un témoin de l’histoire de l’architecture. Jeune, il fait des charrettes chez Le Corbusier, Marcel Lods, Auguste Perret et d’autres. Il baigne très tôt dans un univers très moderne. Après guerre, il est appelé par l’architecte Jean Bossu pour intégrer son agence à Paris. Nous sommes en 1949, Jean Bossu vient de remporter le concours d’une l’école d’agriculture à La Réunion. Dès l’année suivante, il y envoie Fabien Vienne qui a tout juste 25 ans. Il va gérer l’annexe de Jean Bossu à la Réunion.
Quelle sera la nature de leur rapports ?
Bossu reste un esthète, qui compose des façades, une architecture soignée en béton blanc. Vienne s’inscrit dans sa lignée mais il est davantage sur l’aspect constructif, le matériau, le concret. Vienne a fait l’école des Arts Appliqués où il a touché à la menuiserie, à l’assemblage, où il a manipulé les matériaux…
Au retour de la Réunion, il s’émancipe de Bossu…
Oui, il rentre à Paris pour y monter son agence: la SOAA (société d’architecture et d’aménagement). Mais La Réunion va finir par le rattraper. En 1973, Maurice Tomi vient le voir. Il se connaissaient déjà. Or à ce moment-là, Fabien Vienne réfléchit à un petit module constructible conçu à partir d’une trame de panneaux triangulaires : Trigone. Maurice Tomi demande les plans et part fabriquer un prototype dans ses usines à la Réunion. Il est très emballé. Il veut alors renouveler ses cases Tomi et proposer une nouvelle forme d’habitat économique. Finalement, il propose à Fabien Vienne de venir créer un module spécifique.
Les fameuses cases Tomi vont naître de la collaboration étroite entre ces deux hommes…
On peut vraiment parler de collaboration exemplaire. Même si chacun a une forte personnalité, ils ne se sont pas perdus dans des disputes d’égo. Il seront tous les deux associés, sur le même pied d’égalité. Et ils recevront chacun la moitié des royalties.
Fabien Vienne apportera sa connaissance de la géométrie dans l’espace pour concevoir un système constructif intelligent et évolutif. Maurice Tomi apportera sa compréhension culturelle des besoins et les moyens économiques.
Concrètement, comment ça se passe ?
Ils vont passer plusieurs mois ensemble à faire des prototypes. De là va naître le système EXN (X éléments pour N combinaisons). Au passage, c’est Fabien Vienne qui a fait le logo. Pour lui, tout doit correspondre et s’inscrire dans la lignée conceptuelle, y compris le logo. Ce système est conçu à partir de portiques en bois préfabriqués et assemblés par simple boulonnage. Un habitat extrêmement économique qui utilise les stocks, les machines et les ressources humaines que Maurice Tomi avait déjà. Ce dernier a demandé à Fabien Vienne de s’adapter à ses machines, à ses ouvriers et à sa méthode constructive en bois.
Du coup, une partie de l’agence de Fabien Vienne redéménage à La Réunion…
C’est un incroyable succès. Au moins un millier de constructions sont encore debout aujourd’hui.
Qu’est-ce qui a fait le succès de la case Tomi ?
C’est un système constructif très adaptatif. Dans le temps, dans l’espace mais aussi en fonction des moyens. On trouve des cases Tomi dans des logement très sociaux mais également dans des quartiers luxueux. Les gens se les sont appropriées parce qu’ils ont pu les faire évoluer facilement en fonction de leurs besoins, en fonction de l’agrandissement de la famille… D’ailleurs, ces évolutions n’ont pas altéré l’image architecturale, puis qu’elles étaient prévues. Il n’y a pas de verrues. C’est aussi un habitat adapté au climat tropical, à la façon de vivre. Il y a un vrai travail de réinterprétation de la case créole avec sa varangue.
Les meilleurs ambassadeurs sont ceux qui habitent ces cases…
J’ai été très frappée pendant mes visites sur le terrain de voir à quel point ceux qui y habitent y sont attachés. Il faut ajouter aussi que ces maisons sont particulièrement solides. D’ailleurs, ce sera un argument de vente notamment après le cyclone Firinga (1989), lorsqu’un des journaux de l’île publiera une photo montrant tout un quartier à terre sauf une maison tomi. Cette photo sera utilisée ensuite comme publicité.
S’il fallait retenir une chose sur cet architecte, Fabien Vienne ?
Fabien Vienne a développé toute sa vie des raisonnements mathématique extrêmement pointus. Sa passion de la géométrie a traversé tous ses programmes. Et cette capacité à lier les choses par un unique concept, à tout maîtriser par la géométrie et les rapports de proportions est remarquable. Cette maîtrise de la trame doit être partagée. Mon travail, c’est de réhabiliter sa mémoire.
Fabien Vienne
Né en 1925 à Paris, Fabien VIENNE est décédé le 31 mars 2016. Architecte, modélateur et urbaniste, formé à l’école des Arts-Appliqués, il a suivi toute sa vie un parcours moderne atypique qui l’a mené de la conception de meubles à l’urbanisme en passant, entre autres, par la mise au point de systèmes constructifs, la réalisation « d’objets » architecturaux singuliers, la conception de scénographies et l’invention de jeux de construction.
L’expo que la Cité de l’architecture lui a consacré en 2015
Point, ligne, surface, volume
www.citedelarchitecture.fr