Catherine Morel vient tout juste de s’asseoir dans son nouveau fauteuil de directrice du CAUE. Mais quand son portable sonne, c’est toujours Oum Kalsoum qui nous accueille…
Catherine Morel, ça fait quoi de changer de fauteuil ?
Ce n’est pas un grand bouleversement non plus. Je prends la direction à mi-temps (l’ancien directeur se partageait entre la direction du CAUE et de l’ADIL). Donc, je garde en mi-temps les actions que je faisait auparavant, c’est à dire l’encadrement des équipes opérationnelles en dehors des d’architectes conseil dans les communes.
Le CAUE, ça sert à quoi ?
Quand il créé en 1979, le CAUE faisait seulement du conseil aux particuliers dans les communes. Il a vu ses actions se diversifier au fil du temps, elles sont prévues dans la loi de l’architecture. Nous avons quatre niveaux d’action : informer, conseiller, former et sensibiliser pour développer la qualité du cadre bâti, pour tous.
Oui, mais concrètement ?
Concrètement, nous avons organisé 4500 consultations architecturales en 2015. Ce n’est pas rien. Nous avons des expositions sur l’archi et le paysage qui tournent dans les médiathèques, mairies, écoles… Des actions en milieu scolaire, notamment dans les classes à PAC (classes à projet artistique et culturel) et sur le terrain, comme avec la ZAC coeur de ville à la Possession. Nos équipes font de la sensibilisation aux grands projets qui vont impacter la vie de ces enfants. Ce sont eux qui vont habiter les projets. Enfin, le CAUE organise des actions de formation ouvertes à la profession.
”Ma préoccupation: sécuriser notre budget.”
Vous organisez aussi des journées d’échange interprofessionnelles autour de thématiques…
C’est quelque chose qui me tient à cœur de développer. Nous le faisons en collaboration avec le centre de ressources Envirobat Réunion. L’idée, c’est que les professionnels échangent sur les bonnes pratiques, qu’ils soient dans une approche plus transversale. Et je trouve que ces échangent sont fructueux, riches et utiles.
Quels seront les premiers grands travaux de la directrice ?
Ma première préoccupation sera de sécuriser notre budget. C’est la condition sine qua none pour pouvoir mener à bien nos missions.
Il y a une inquiétude ?
Disons que nous nous trouvons dans un contexte économique difficile. Ce n’est pas un secret, notre principal financeur, le Département, a un budget de plus en plus contraint par le volet social. Nous sommes financés par une taxe départementale. Cette taxe nous était dédiée jusqu’en 2010, puis par volonté de simplification, elle a été regroupée en taxe d’aménagement qui regroupe aussi les espaces naturels sensibles. Quand le Département a fait le changement, il n’a pas fléché cette taxe, elle est diluée. Il faut la sécuriser. Ce qui nécessite de mieux communiquer, d’expliquer ce qu’on fait.
En période de crise, on ne fait pas d’économie sur l’architecture…
Très mauvaise idée. En tout cas nous, on se bat pour montrer que la qualité architecturale est importante, et utile. A fortiori dans une période difficile économiquement et socialement. Ça ne réglera pas les problèmes sociaux, mais ça peut éviter de les empirer..
Est-ce que vous vous sentez encore architecte ?
Mais oui, quelle question ! Je me définis d’abord comme une architecte, et c’est bien cet état d’esprit que je mène la barque. Être archi pour moi, ce n’est pas que dessiner des plans, c’est aussi être en capacité d’appréhender de manière globale un sujet, d’être DANS LE PROJET.
Les dix ans que vous avez passés au CAUE n’ont pas changé votre vision du métier d’architecte ?
Disons plutôt que j’ai élargi ma capacité de réflexion aux préoccupations du maître d’ouvrage. Un architecte tout seul, ça fait pas un projet.
Je pensais que c’était une évidence…
Pas toujours…
Les architectes râlent souvent sur le manque de culture architecturale de ceux qui décident des projets…
On rentre là dans nos missions d’intermédiation. La culture, elle se construit petit à petit, c’est un mouvement, une longue dynamique. Ce que je vois, c’est que ça évolue petit à petit. Nous le voyons d’ailleurs dans les programmes, les projet s qui sortent.
Plus généralement se pose la question de la culture architecturale dans la société…
Nous y travaillons avec nos moyens et notre enthousiasme. Il y a plus d’action dans les écoles. On fait aussi des actions de formation en direction des enseignants en partenariat avec la DAC OI et le Rectorat. Ça bouge un peu. Mais c’est vrai, ça ne bouge pas assez vite. Nous intervenons aussi avec les Sem sur la sensibilisation auprès des futurs usagers des projets d’aménagement, de réhabilitation.
“Le juridisme est une maladie qui gangrène le système.“
Le résultat de tout ça, c’est que le travail de l’architecte n’est pas très reconnu, sa part dans les concours de maîtrise d’œuvre ne fait que diminuer…
Oui, c’est assez terrible. Malheureusement, le mieux-disant se traduit systématiquement par du moins-disant. Le message qu’on essaie de faire passer notamment dans les concours, c’est que le coût de la maîtrise d’œuvre ne représente pas grand chose rapporté au coût global du projet. Non seulement, le fait de rogner sur cette partie ne fait pas faire beaucoup d’économies à court terme, mais s’avère désastreux à moyen et long terme.
Il n’y a pas l’air d’avoir de prise de conscience du côté des maîtrises d’ouvrage…
Détrompez-vous. Pour en avoir discuté avec eux, beaucoup de maîtres d’ouvrage en sont conscients. Le problème, c’est que le juridisme prend une place trop importante. Le juridisme c’est un peu la maladie qui gangrène le système. On fait des grilles de lectures Ok, on fait plein de tableaux et au final, c’est le moins-disant qui gagne.
Comment faire évoluer les choses ?
A mon avis, il faut de la concertation. D’ailleurs, c’est quelque chose que j’ai envie de faire: organiser des réunions de concertations avec les services juridiques des communes et EPCI. Qu’ils comprennent notre approche, notre raisonnement, notre fonctionnement mais qu’on comprenne aussi leurs contraintes. Chacun a sa manière de fonctionner et ça, les architectes n’y sont pas toujours sensibles. Ce n’est pas les uns contre les autres, mais les uns avec les autres. Il ne faut pas se poser en victime. Surtout pas. C’est contre productif. Il faut casser ça.
Quand vous étiez étudiantes en école d’archi, si on vous avez dit: « tiens plus tard, tu seras directrice d’un CAUE…. »
…Et bien j’aurai ouvert de grands yeux. Ha là là, j’étais loin de tout ça. Comme tout le monde, je voulais m’inscrire comme architecte libérale. [Son portable sonne, la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum en fond]
Vous êtes sûrement la seule personne à La Réunion qui ait Oum Kalsoum comme sonnerie de portable…
Ben vous croyez ? Allez savoir ! Oum Kalsoum, c’est ma Madeleine de Proust. Avant de traverser la Méditerranée pour faire mes études d’archi à Montpellier, j’ai passé toute mon enfance en Tunisie. Je suis née là-bas. Mes parents sont arrivés en 1949 et sont tombés amoureux de ce pays. J’y suis resté jusqu’au bac. D’abord à Sousse puis au lycée à Tunis.
On est souvent de l’endroit où on a passé son enfance…
J’y retourne régulièrement. Oui, c’est marrant maintenant qu’on en parle mais j’ai l’impression de rentrer chez moi quand j’y vais. D’ailleurs la dernière fois, le douanier en regardant mon lieu de naissance sur le passeport m’a dit: « bienvenu chez vous » ! J’en étais toute émue. J’y ai quand même passée toute mon enfance, j’en garde les couleurs, les parfums… Certes nous étions dans un milieu privilégié mais ma mère qui était directrice d’école a tenu à ce qu’on apprenne l’arabe. On était complètement intégré. J’étais chez moi.
Vous gardez des liens là-bas ?
Avec Facebook, j’ai pu retrouver pleins d’amis du lycée. Et via les réseaux sociaux, j’ai vécu la révolution tunisienne en direct, c’était assez émouvant. Aujourd’hui, la situation reste compliquée, il y a une crise économique énorme. Et puis, le chemin de la démocratie sera long. Il l’est toujours.
Et La Réunion dans tout ça ?
Quand j’ai eu mon diplôme, je suis venue en vacance ici, et je suis restée. En fait, ma sœur aînée vivait ici déjà depuis deux ans. Ça m’a plu tout de suite. J’ai retrouvé une grande ouverture…
Des parfums de la Tunisie ?
La Tunisie que j’ai connue, c’était aussi un pays d’échange, avec des gens qui venaient de partout, ouverts d’esprit. Tunis est un grand port où les cultures arabes et européennes se rencontraient.
Est-que la culture arabe a marqué votre façon d’appréhender l’architecture ?
Au début, faire des toits en pente, ça me faisait bizarre, j’avais du mal… Le fait d’avoir expérimenté une autre façon de vivre avant d’étudier l’archi en France m’a conditionné à regarder le contexte global, culturel, climatique avant de débuter un projet.
Des émotions architecturales particulières en Tunisie ?
Ce que j’aime, c’est la ville arabe, la Médina. La vieille ville entourée de remparts. Parce que c’est labyrinthique, comme un parcours initiatique avec des endroits couverts, des cours intérieures plantées. Et c’est une ville à l’échelle humaine, construite “à la main”. D’ailleurs, il y a un architecte égyptien qui a repris cette démarche, Hassan Fathi, pour des constructions contemporaines. Il a écris un livre très connu “Construire avec le peuple”, dans les années 70.
Dans le contexte d’une architecture traditionnelle, y compris à La Réunion, l’habitant est souvent maître d’œuvre de son univers or aujourd’hui, il a été dépossédé de ça, il n’est plus acteur du milieu où il habite…
Les gens veulent tous leur case à terre, mais tout le monde sait bien qu’on ne peut plus s’étendre. Pour moi, ce qui est surtout important, c’est de bien comprendre ce qui fonctionnait avant pour le retranscrire dans un autre langage.
Par exemple ?
La case traditionnelle, c’était un courant d’air, avec des ouvertures partout, et de la végétation tout autour, parce que c’est cette végétation qui diminue la température de l’air. Voilà ce qu’il faut retrouver. Ventiler, ça ne suffit pas. Si vous avez un parking en béton tout autour, vous ventilez de l’air chaud !
Souvent, les paysagistes hurlent, leur projet se termine avec quelques taches vertes, faute de budget….
Aujourd’hui, les vrais architectes pensent intérieur et extérieur, ils pensent global.
Reynaud dit qu’il ne fait pas de l’architecture mais du climat…
Oui, c’est une belle expression.
On a l’impression que l’architecte n’est jamais vraiment dans le temps présent, il se projette constamment…
C’est une déformation du métier. L’architecte se projette toujours dans le futur. Nous sommes toujours dans le virtuel puisque nous dessinons, nous imaginons pour demain. Mon confrère Guillaume Hazet dit quelque chose comme ça: quand on marche dans la rue, on a une manière d’appréhender l’espace dans son possible…
Finalement, l’architecte est un rêveur…
En un sens. Mais faut-il encore lui en donner le temps. Au CAUE je ne fais plus de projets de construction mais je retrouve la même gymnastique d’esprit. La société évolue, bouge. On doit accompagner ses attentes. La qualité du cadre bâti que nous défendons, elle n’est pas figée non plus. C’est une dynamique toujours en mouvement.
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Entretien: Laurent BOUVIER