Il n’est pas courant qu’un architecte de la Réunion se lance dans la recherche et dans l’écriture. C’est pourquoi, il est intéressant de recueillir les commentaires de Patrice Rivière à l’occasion de la parution de son essai sur “Les formes architecturales et urbaines durables en milieu tropical humide”. Il cherche à faire le point des conditions nécessaires à un développement soutenable en milieu tropical, sur le plan de la morphologie, ce qui interpelle tous les architectes. Quand on voit l’épaisseur de l’ouvrage et le nombre d’illustrations, on se dit qu’il faut être sacrément motivé pour se lancer dans une telle aventure.
L’envie m’est venue à l’époque où j’enseignais à l’école d’architecture. Comme d’autres, je me suis rendu compte qu’on manquait de références écrites sur la situation locale. J’ai donc commencé à pianoter sur mon ordinateur et à prendre des photos il y a maintenant bientôt trois ans, et, de fil en aiguille, je me suis passionné. Il le faut, vu le nombre d’heures passées à gamberger, à relire, à trier! Un an et demi, à mi-temps pour mettre en forme le document. De plus, je voulais qu’il y ait beaucoup d’illustrations. Il y en a plus de cinq cents, et ça prend beaucoup de temps. Heureusement j’ai eu le soutien d’Alain Borie, René Robert, Lionel Dunet, et bien d’autres que je ne remercierais jamais assez.
Alors que ce n’est pas ton métier premier.
A l’heure du bilan, je me suis aperçu que j’avais le sujet depuis longtemps dans ma tête. Et puis, c’était assez irritant de voir comment certains surfaient trop superficiellement et médiatiquement sur la mode du développement durable, sans vraiment prendre en compte le fond du problème. J’ai ainsi voulu apporter mon grain de sel, pour qu’à La Réunion on ne passe pas à coté de ce mouvement, quitte à sortir des sentiers battus.
Et tu t’attends à quel type de réactions ?
En fait, j’ai fait cela pour trois raisons : faire partager ce que je sais, susciter des réactions et apprendre des autres. Donc je serais très content d’avoir l’occasion d’échanger et de débattre. Ce que j’ai fait n’est pas abouti. Voilà pourquoi c’est un “essai”. Et je crois que les gens savent beaucoup de choses et qu’il faut leur donner l’occasion de s’exprimer. J’aimerais surtout que ceux que j’aime bien me lise, et me fasse retour de leurs impressions. D’ailleurs, si la Maison de l’Architecture pouvait organiser un jour un débat…..
Ca veut dire que tu prends position ?
Je suis critique, dans le sens positif du terme, parce que je pense qu’on ne tient pas assez compte de la problématique de l’eau et de l’humidité. On a bien sûr des études scientifiques, mais on n’a pas développé de solutions pour les adapter à l’urbanisme et à l’habitat. Je participe aux réflexions du SAR pour mesurer qu’il y a un hiatus entre les envies initiales et la mise en pratique. J’ai analysé cette discontinuité pour conclure que les décideurs n’avaient pas à leur disposition les outils leur permettant de traduire la théorie scientifique en aménagement du territoire. Voilà une des justifications de mon travail. De plus, dans ces instances, si on veut être entendu et considéré, il faut s’appuyer sur des références. J’espère que cet ouvrage en sera une.
Si tu as entrepris ce travail, c’est aussi parce que tu penses que les architectes ont leur mot à dire?
En vingt ans on n’a pas progressé dans la réflexion sur la ville. Les architectes se sont plutôt penchés sur l’objet, c’est à dire: l’habitat. D’ailleurs, quand on parle développement durable, on pense presqu’automatiquement à la maison individuelle. Or, dès qu’on arrive à l’échelle du collectif, la solution développement durable ne peut pas provenir que de l’objet. Du fait de ses dimensions, il faut nécessairement penser à un niveau urbain pour répondre aux préoccupations de développement durable, et résoudre aussi le problème de la densité.
Et il y aura une suite à cet essai ?
Quand on fait un projet, quand on gagne un concours, il y a un moment où c’est fini. Une oeuvre de recherche n’a pas de fin. L’objet est publié, mais je continue à rêver du sujet la nuit. Cependant, mon souhait est d’orienter maintenant mon travail sur le diagnostic préalable aux décisions. Il y a une demande très forte en la matière, parce que les situations sont de plus en plus compliquées, et les décideurs ont besoin d’être mieux éclairés. Je suis étonné de la faiblesse de ceux qui sont en général produits, et qui ne sont trop souvent que des compilations. Je voudrais proposer une vision synthétique des situations avec l’homme au centre du diagnostic. Je crois que ma formation d’architecte prédispose à avoir cet angle de vue: l’homme au centre.
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Entretien: Etienne Charritat